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PAROLE DU MAITRE : QUAND MASEGABIO PRECHE LA LITTERATURE AUX ECRIVAINS DU CONGO





Dimanche 22 août 2021. Bandalungwa semble revenir d’un profond sommeil. Les mesures barrières ont été allégées. Les plages fumantes de l’avenue Inga reprennent vie.
La bière y coule à flots. Les poulets-mayo qui brulent au-dessus de chaufandises ont hâte d’aller garnir les tables des buveurs de bière qui, à lire leurs faciès inquiets, sont un peu déçus que lundi pointe déjà son nez à l’horizon en voulant jouer au trouble-fête avec son lot d’embouteillages et de tracas professionnels.
Non loin de là, sur l’avenue Kimbondo, le décor semble surréaliste. Une jolie femme des lettres en pantalon treillis militaire distribue des bouteilles d’eau à l’assistance en se dandinant tandis que ses collègues venus de tous bords feuillètent des livres exposés sur des étagères dans une salle à moitié éclairée. On ne se croirait pas à Bandal.
Un parterre de journalistes se faufile dans la petite cour aménagée du siège d’Aw’art où ils se mêlent aux membres des Ecrivains du Congo qui ne veulent rien manquer de la « Parole de Maître », cette activité littéraire organisée par leur association.
Et pour cause : un invité qu’on ne présente plus dans l’univers littéraire du pays. Auteur notamment du célèbre « Fais-moi passer le lac des caïmans » et gagnant de plusieurs prix littéraires, Phillipe Nzanzu Masegabio –c’est de lui qu’il s’agit- est assis impassible sur un siège aménagé pour la circonstance.
« Tout texte n'est pas forcément de la littérature », clame-t-il du haut de sa tribune pour répondre à la question lui posée par Hervé Bia, Président des Ecrivains du Congo, discutant de l’événement.
« Il ne suffit pas d'écrire sous forme de vers pour faire de la poésie. Pierre Corneille rangeait ses écrits ainsi alors qu'il était dramaturge. Il ne suffit pas de voir ses écrits se ranger merveilleusement sur son écran d’ordinateur pour croire qu’on a créé de la poésie ou de la prose. Il ne suffit pas d’écrire, il faut écrire bien. Pour faire de la littérature, il faut d’abord connaitre. Ensuite, il faut être créatif et réceptif. Dans le connaître, il faut maîtriser l’art de l’écriture et les normes. Dans la créativité, il faut viser le beau. L'écrivain écrit d'abord pour lui-même puisqu’il trouve beau ce qu’il écrit. Mais les lecteurs doivent se retrouver dans le beau que l’auteur s’exprime à lui-même. C’est cela la réceptivité. » Selon le Professeur qui s’est présenté comme un amateur des livres d’André Gide , d’Alain Fournier , de Dostoïevski , de Tshikaya Utam’si et de Mudimbe, un auteur doit rechercher et obtenir un retour en termes de réceptivité.
Au fur du développement de sa pensée, le Professeur n’a pas manqué d’aborder également la problématique de la littérarité d’un texte qui est nécessaire à son statut d’œuvre littéraire.
Selon lui, le respect de la grammaire est une exigence incontournable de la littérarisation d'un texte. La littérarité ne recherche pas la vérité. La dimension fictionnelle de la littérature doit toujours exister. Sans elle, vous n'avez pas une littérature. La littérature est avant tout une représentation.
Hervé Bia, réagissant aux idées du Prof Phillipe Nzanzu, a voulu savoir si la littérature n’est rien de plus qu’un caprice et si dans la pratique elle servait vraiment à quelque chose ?
Y réagissant, le Prof Nzanzu s’est appesanti, non sans épater l’assistance, sur le fait qu’une œuvre littéraire n’est pas d'abord destinée à autrui. Pour lui, l'auteur est initialement son propre lecteur. Mais, finit-il par s’interroger, est-ce qu’un auteur peut vivre de sa littérature ? Oui, répond-il, il existe une industrie et un commerce de la littérature ! Si un écrivain recherche la dimension matérielle, il se peut qu’il survive grâce à ses écrits. Mais ce n'est pas l'essentiel. Ce que l’auteur recherche c’est qu’en le lisant, les lecteurs trouvent beau ce qu’il avait trouvé beau lui-même au départ. L'objectif d'un littérateur n'est toujours pas immédiat. En visant le beau, il peut atteindre l'immortalité car il existe des livres immortels.
La problématique de la littérature congolaise et de ses rapports avec la politique ne passe pas inaperçue. Pour le Professeur Nzanzu, la littérature de notre pays n'a pas démarré avec les écrits de l'abbé Kaozi. Ce que ce dernier a écrit n'était pas de la littérature. Pour lui, la littérature congolaise a démarré plus tôt mais ce fut la politique coloniale belge qui a freiné son. Le manque d'instruction a été un facteur important dans le retard de l'émergence de notre littérature. Les belges ont, selon le Professeur Masegabio, fait de la colonie un débouché économique. Il ne fallait pas former une grande élite. Leur doctrine était ''pas d'élite pas d'ennuis''. D'où le retard relevé dans la promotion la littérature congolaise.
Ces points de vue ont ouvert la brèche sur des questions fondamentales : Avons-nous aujourd'hui une littérature à la taille de notre pays ? Est-ce le péché originaire qui nous poursuit ou est-ce le fruit de nos bêtises qui fait que nous n'ayons pas de littérature à notre grandeur ?
Pour Masegabio, les congolais n’ont pas eu de temps suffisant pour écrire. La scolarisation et l'académisation jouent beaucoup dans l’émergence de la littérature.
GKM